La Barkley : Le défi ultime de l’Ultra Trail

Publié le 19 mars 2025
Courses Trail Ultra Trail

Une cigarette s’allume dans la pénombre des bois du parc d’État de Frozen Head, dans le Tennessee. Il est 11h37, ce 18 mars 2025, et Gary « Lazarus Lake » Cantrell donne le départ de la 38e édition de la Barkley, une course mythique connue pour broyer les coureurs. Cinq boucles infernales, 209 km à parcourir et près de 20 000 m de dénivelé : cet ultramarathon est un monstre qui défie l’impossible depuis 1986. Retour sur cette légende de l'Ultra Trail.
La Barkley : Le défi ultime de l’Ultra Trail

La Barkley n’est pas une simple course. C’est un monstre, une épreuve qui défie les lois de la logique et repousse les limites humaines à leur paroxysme. Imaginez : cinq boucles d’environ 32 km chacune – bien que beaucoup estiment qu’elles frôlent les 42 km en réalité – à parcourir en moins de 60 heures. Cela représente un total d’environ 209 km et un dénivelé positif hallucinant de 18 288 m, soit l’équivalent de deux ascensions de l’Everest. Pas de sentiers balisés, pas de GPS, pas d’assistance. Juste une carte topographique remise la veille, un compas, et une liste de livres disséminés sur le parcours dont les coureurs doivent arracher une page correspondant à leur numéro de dossard pour prouver leur passage.

Le parcours, qui change chaque année, traverse des terrains accidentés, des broussailles impénétrables, des pentes abruptes surnommées « Rat Jaw » ou « Big Hell », et des conditions météorologiques imprévisibles. Les coureurs alternent les directions à chaque boucle – la première en sens horaire, la deuxième en sens antihoraire, et ainsi de suite – jusqu’à la cinquième, où le premier à partir choisit son sens, les autres devant suivre l’opposé. Ajoutez à cela une règle implacable : chaque boucle doit être bouclée en moins de 12 heures, et seuls ceux qui terminent les trois premières en 40 heures obtiennent le statut de « Fun Run », une maigre consolation face à l’objectif ultime de finir les cinq.

Depuis sa création en 1986, cette course n’a été achevée que 26 fois par 20 coureurs différents, soit un taux de réussite d’environ 2 % sur plus de 1 000 participants. Surnommée « The Race That Eats Its Young » (la course qui mange ses petits), elle incarne un défi aussi mental que physique, une épreuve où l’échec est la norme et la victoire, une rareté.

L’origine : Une idée née d’une moquerie

L’histoire de la Barkley commence avec une évasion et une boutade. En 1977, James Earl Ray, l’assassin de Martin Luther King Jr., s’échappe du pénitencier de Brushy Mountain, situé près de Frozen Head. Après 55 heures de cavale, il est retrouvé à seulement 13 km de son point de départ, épuisé sous un tas de feuilles. Gary Cantrell, un coureur local passionné d’ultramarathons, lit cette anecdote et se moque : « Moi, j’aurais fait au moins 161 km dans ce temps-là ! » Avec son ami Karl « Raw Dog » Henn, il décide de transformer cette bravade en réalité.

La première édition, en 1986, propose un parcours de 80 à 88 km avec un dénivelé de 7 620 à 8 230 m, à boucler en 24 heures. Personne ne termine, ce que Cantrell qualifie de « succès retentissant ». En 1995, le format évolue vers les cinq boucles actuelles et une limite de 60 heures, inaugurée par le premier finisher officiel, Mark Williams, en 59h28min48s. Cantrell baptise la course en hommage à son voisin et compagnon de course, Barry Barkley, décédé en 2019. Depuis, la Barkley est devenue une légende, un rite de passage pour les ultrarunners les plus audacieux.

Lazarus Lake : Le maître sadique au cœur tendre

Gary Cantrell, alias Lazarus Lake, est le cerveau derrière cette folie. Barbe broussailleuse, chemise à carreaux, bonnet rouge marqué « geezer » (vieux schnock), cigarette à la main : il incarne une figure à la fois excentrique et mythique dans le monde de l’ultra. Né dans le Tennessee rural, cet ancien coureur a conçu des courses pour tester les limites humaines, de la Strolling Jim 40 au Big Dog’s Backyard Ultra. Mais la Barkley reste son chef-d’œuvre.

Lake ne cache pas son plaisir à voir les coureurs souffrir. Il sélectionne chaque année un « sacrifice humain » – dossard n°1 – un coureur talentueux mais qu’il juge incapable de finir. Les lettres d’acceptation, envoyées après un processus d’inscription opaque (une lettre de motivation et 1,60 $ de frais), sont des « lettres de condoléances » annonçant une « très mauvaise chose à venir ». Pourtant, John Kelly, triple finisher, nuance : « Laz joue les sadiques, mais il adore voir les gens réussir. Il veut qu’on grandisse dans l’échec. »
En 2025, après huit finishers en deux ans (trois en 2023, cinq en 2024, dont la première femme, Jasmin Paris), Lake semble avoir décidé de durcir le ton. Les premiers rapports de l’édition en cours confirment un parcours « plus sombre et impitoyable », selon les mots de Territorio Trail sur X.

Les finishers : Une élite rarissime

En près de 40 ans, seuls 20 coureurs ont dompté la Barkley sur les cinq boucles. Voici les plus marquants :

  • Brett Maune détient le record absolu : 52h03min08s en 2012. Il a fini deux fois (2011, 2012).
  • Jared Campbell est le roi incontesté avec quatre finishs (2012, 2014, 2016, 2024), un exploit de constance.
  • John Kelly, enfant du pays (originaire des environs), a terminé trois fois (2017, 2023, 2024), incarnant la persévérance.
  • Jasmin Paris, en 2024, est entrée dans l’histoire comme la première femme à finir, en 59h58min21s, à 99 secondes de la limite. Une performance qui a ébranlé le monde de l’ultra.
  • Mark Williams (1995), le pionnier, et d’autres comme David Horton, Blake Wood ou Karel Sabbe complètent cette liste exclusive.

En 2024, cinq finishers – Ihor Verys, John Kelly, Jared Campbell, Greig Hamilton et Jasmin Paris – ont marqué un record historique. Mais ce succès semble avoir attisé la vengeance de Lake pour 2025.

L’édition 2025 : Un carnage annoncé

Le 18 mars 2025, le coup d’envoi a été donné à 11h37, le départ le plus tardif jamais enregistré, dépassant celui de 2015 (11h23). Carl Laniak, co-directeur, a soufflé dans la conque à 10h37, laissant une heure aux 40 coureurs pour se préparer. Keith Dunn, chroniqueur officiel via son compte Bluesky, fournit les rares mises à jour. À 24 heures de course, le constat est brutal : aucun coureur n’a terminé la deuxième boucle dans les temps. Sur les 40 partants, seuls 10 ont franchi la première boucle en moins de 12 heures, et le peloton s’est réduit à six sur la deuxième, selon Outside.fr. La météo, clé dans cette épreuve, a offert des conditions initiales clémentes avant des vents forts prévus mercredi et un froid mordant jeudi.

Parmi les noms confirmés :
John Kelly, triple finisher, revient pour une huitième tentative. Sera-t-il le premier à égaler Campbell ?
Claire Bannwarth, surnommée « Lapin DuDuracell », représente la France avec son endurance légendaire.
Tomokazu Ihara, coureur japonais, est le premier à boucler la deuxième boucle, selon RUN247, signe d’une possible surprise.
Julien Chable et Thomas Calmettes, autres Français, ont abandonné dès la deuxième boucle.

Des rumeurs évoquent Aurélien Sanchez (vainqueur 2023), mais sa présence reste incertaine. Jasmin Paris et Ihor Verys (vainqueur 2024) brillent par leur absence. Avec seulement six coureurs encore en lice à mi-parcours, le « massacre » semble en marche. Lazarus Lake a-t-il conçu un parcours si diabolique qu’aucun finisher n’émergera cette année ? Réponse d’ici le 20 mars, 23h37.

Pourquoi la Barkley fascine-t-elle ?

La Barkley n’est pas qu’une course. Elle est une expérience humaine, un affrontement avec soi-même dans un écrin de nature sauvage. Son mystère – pas de site officiel, un départ secret, un parcours imprévisible – et sa difficulté extrême en font un Graal pour les ultrarunners. Elle attire des élites comme Kelly ou Paris, mais aussi des anonymes prêts à tout donner, souvent pour échouer.

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